L’alimentation pour une prévention optimale : un sujet controversé.
Problématique quand on parle d’alimentation
Aujourd’hui, tout le monde est à peu près convaincu, de près ou de loin, qu’une bonne alimentation est un facteur important pour notre santé. Il est facile à comprendre qu’en ingérant de bons produits, nous pouvons mieux synthétiser via l’alimentation les différents éléments utiles au bon fonctionnement de notre corps. Mais malgré ce consensus plus ou moins général, personne n’a le même avis sur la question. En ce qui concerne la prévention notamment, le sujet devient beaucoup plus controversé : l’alimentation est-elle vraiment utile dans un objectif de prévention des maladies ? Malgré la masse d’études importante portant sur le sujet, il n’est pas si simple d’apporter une réponse claire et d’en tirer des conclusions scientifiques…
Une des raisons est la difficulté de mettre en place des recherches avec une méthodologie rigoureuse. La plupart des études portant sur la nutrition sont des études observationnelles dont on ne peut pas conclure grand-chose…
Les bienfaits de la nutrition
Si nous promulguons aujourd’hui dans nos recommandations une alimentation équilibrée, c’est avant tout pour son importance sur notre santé à long terme. Le diabète, les cancers et les maladies cardio-vasculaires sont des exemples de maladies pour lesquelles la nutrition a un rôle central [1, 2, 3]. Mais bien que cela soit démontré, il est important de préciser qu’aucun régime type ne surclasse un autre, et qu’aucun aliment n’est en soi interdit. Quand on parle de nutrition, le maitre mot reste la dose, et passé un certain seuil, presque toute nourriture devient délétère. Ce n’est donc pas la peine de culpabiliser quand vous buvez un coca… si ce n’est pas une habitude ! Finalement, c’est l’excès qui est mauvais. Boire un soda ou manger un bonbon ne vous fera absolument rien. Finir un paquet chaque semaine en revanche…
Le gras, le sucre ou le sel ne sont pas à supprimer totalement, mais souvent à réduire. Officiellement, il ne faudrait pas dépasser 5g de sel et 50g de sucre par jour. De bonnes habitudes comprennent donc avant tout une maitrise de notre consommation totale et pas simplement des restrictions absolues [4, 5].
C’est notamment ce qui est mis en évidence chez les personnes appliquant des régimes végétariens, chez qui nous observons par exemple moins de diabète. En lisant ces études, on aurait tendance à conclure que la chair animale serait à incriminer. Puisque ces personnes n’en consomment pas et qu’ils sont moins à risque, il est logique d’en conclure que le problème vient de ce type d’aliments. Toutefois, au delà de la consommation de viandes ou de poissons, les personnes végétariennes cumulent des bonnes pratiques alimentaires en consommant plus de légumes, de fruits et de légumineuses. Il en résulte une balance énergétique avec plus de fibre, moins de calories et moins d’acides gras saturés, ce qui est en accord avec les recommandations actuelles [6, 7]. Les végétariens sont d’ailleurs également moins obèses, ce sont tant de facteurs qui sont eux-mêmes protecteurs pour le développement du diabète ou des maladies cardio-vasculaires.
Comprenons : le bénéfice ne vient pas forcément des restrictions qu’amènent le végétarisme mais du style de vie inhérent à cette pratique. Notons que nous restreignons l’analyse par rapport aux conséquences de ces pratiques en termes de santé uniquement.
Nous trouvons par ailleurs de nombreux régimes qui ont cet effet protecteur sur le corps : régime Méditerranéen, norvégien, japonais, etc. Ce qui est promu dans ces cas-là, c’est avant tout de bonnes pratiques générales plutôt qu’un type d’aliments. Et heureusement ! Car différentes personnes sont sensibles à différents types d’aliments.
Et notre santé mentale dans tout ça ?
En ce qui concerne la santé mentale, beaucoup de sources existent sur le lien entre dépression et nutrition. De même que précédemment, des bonnes habitudes alimentaires comme les régimes riches en fibres, en fruits et pauvres en sucre sont corrélées avec une meilleure santé mentale [8, 9, 10, 11].
Encore une fois, difficile de dire si on a affaire à des mécanismes directs ou indirects (tous sont théoriques pour le moment) mais il semble qu’une alimentation avec une forte consommation de sucre, de sodas ou de produits transformés soit liée avec des symptômes de dépression. Une vaste étude a comparé tous les types de régimes et tous les suppléments alimentaires en lien avec les troubles cognitifs [12]. Leur conclusion est clair : il ne faut jamais isoler l’alimentation du style de vie. L’alimentation a un rôle évident mais il convient d’insister sur les causes multi-factorielles de ces troubles mentaux, pour lesquels il faut comprendre entre autres le sommeil, le tabac et l’activité physique. Ne prendre en compte que l’alimentation serait réducteur et inexact.
D’ailleurs, le meilleur prédicteur de problème mental quand on considère ce qu’on avale reste l’alcool ! En effet, on observe que la consommation d’alcool est fortement liée au risque de démence (Alzheimer notamment). Donc si le régime alimentaire importe, d’autres facteurs de risque sont beaucoup plus importants (alcool, éducation, sommeil, etc.) [8, 13, 14].
Troubles musculo-squelettiques et douleurs chroniques
Ensuite, on entend souvent que l’alimentation a son importance dans le prise en charge des douleurs mais à ce jour, nous ne pouvons pas identifier de lien direct entre les deux. Aucun aliment ou substance en particulier ne semble porter quelqu’un à risque de souffrance future, ni de l’en prévenir.
Néanmoins, il est vrai que nous pouvons observer dans les populations que les individus qui se nourrissent mieux présentent moins de troubles, nous portant à croire qu’il y a bien un lien entre les deux. Si on ne peut pas affirmer qu’un régime plus qu’un autre permet de prévenir ou traiter des douleurs en lien avec le système musculo-squelettique, il y a sans doute en jeu des mécanismes indirects. Par exemple, une mauvaise alimentation peut entrainer de l’obésité, qui est un net facteur de risque de douleurs chroniques.
Quand on considère l’arthrose, beaucoup de personnes modifient leur alimentation pour moins ressentir les douleurs qu’elle engendre mais là encore, nous ne pouvons pas vous conseiller un type alimentaire spécifique. Contrairement a beaucoup d’idées reçues, nous savons que les composés phytochimiques (présents dans les plantes) n’ont pas d’utilité dans la prévention de l’arthrose [15]. Il n’y a pas de remède miracle ici, car l’objectif d’un nouveau régime est surtout la perte de poids, qui elle peut soulager les douleurs dans les articulations portantes. Attention donc lorsque l’on vante un produit magique de na pas oublier des facteurs confondants !
Que ce soit donc pour l’arthrose ou d’autres maladies comme la polyarthrite rhumatoïde, les régimes ne sont pas la première option à privilégier car il y a d’autres facteurs plus prépondérants [16].
Utilité des compléments alimentaires
Autre vaste sujet : celui des compléments alimentaires. Aujourd’hui, environ 25% des gens (28% des femmes et 15% des hommes) en consomment [17] ! Dans quel but ? Bonne question car nombreuses sont les croyances qui entourent la supplémentation alimentaire.
Les compléments les plus fréquemment consommés sont le magnésium, les vitamines, le zinc, le fer, les herbes et les oméga-3. De tous ces compléments alimentaires, rien ne semble efficace. Aucunes données probantes n’existent pour montrer leur efficacité sur les cancers, les maladies cardio-vasculaires, l’hypertension, les troubles mentaux ou le diabète, que ce soit en prévention ou en traitement [12, 18].
Ils peuvent en revanche être utilisés dans certains cas particuliers, chez le nourrisson, les personnes dénutries, les femmes enceintes ou dans quelques maladies. Dans ces cas-là, il faut toutefois toujours que ce soit des traitements personnalisés sous avis médical. Pour le reste de la population, inutile de perdre votre temps et votre argent avec une supplémentation si vous espérez en tirer une protection préventive sur le long terme.
C’est dans l’alimentation que se trouvent tous les apports dont nous avons besoin. Un régime équilibré nous dispense donc, dans la majorité des cas, de consommer des compléments. Au vu du peu de validité scientifique sur la supplémentation en générale, il est étonnant de retrouver une part aussi importante de la population qui en utilise encore…
Conclusion
Le consensus vers lequel tendent les études est qu’une bonne alimentation est évidemment un facteur important pour une meilleure santé, mais que si l’alimentation a son importance, il ne faut pas lui donner les vertus qu’elle n’a pas. Aucun aliment seul ne semble être efficace pour traiter ou prévenir quoi que ce soit. Les résultats sont surtout observables lorsque l’on considère les habitudes de vie plutôt que les produits ingérés. Pour beaucoup de maladies, d’autres facteurs ont nettement plus d’importance que ce que vous consommez, nous n’avons donc malheureusement pas de généralités à vous proposer.
Et c’est pourquoi les recommandations sont assez vagues : mangez varié, ingérez suffisamment de fibres et de protéines, limitez la consommation excessive de sucre, de gras, de produits transformés et de sel. Comment vous vous y prenez importe peu finalement. Si un régime vous convient mieux qu’un autre, tant mieux ! Mais cela reste un avis subjectif que l’on ne peut pas généraliser. Car aujourd’hui, on ne sait pas bien dire avec certitude quel impact direct a l’alimentation sur nos corps…
Sources :
[1] Franzago M, Santurbano D, Vitacolonna E, Stuppia L. Genes and Diet in the Prevention of Chronic Diseases in Future Generations. Int J Mol Sci. 2020 Apr 10;21(7):2633. doi: 10.3390/ijms21072633. PMID: 32290086; PMCID: PMC7178197. [2] Buja A, Pierbon M, Lago L, Grotto G, Baldo V. Breast Cancer Primary Prevention and Diet: An Umbrella Review. Int J Environ Res Public Health. 2020 Jul 1;17(13):4731. doi: 10.3390/ijerph17134731. PMID: 32630215; PMCID: PMC7369836.[3] Salas-Salvadó J, Becerra-Tomás N, García-Gavilán JF, Bulló M, Barrubés L. Mediterranean Diet and Cardiovascular Disease Prevention: What Do We Know? Prog Cardiovasc Dis. 2018 May-Jun;61(1):62-67. doi: 10.1016/j.pcad.2018.04.006. Epub 2018 Apr 18. PMID: 29678447.
[4] Noce A, Romani A, Bernini R. Dietary Intake and Chronic Disease Prevention. Nutrients. 2021 Apr 19;13(4):1358. doi: 10.3390/nu13041358. PMID: 33921568; PMCID: PMC8072965. [5] McGurran H, Glenn J, Madero E, Bott N. Risk Reduction and Prevention of Alzheimer’s Disease: Biological Mechanisms of Diet. Curr Alzheimer Res. 2020;17(5):407-427. doi: 10.2174/1567205017666200624200651. PMID: 32579499. [6] Hodson EM, Cooper TE. Altered dietary salt intake for preventing diabetic kidney disease and its progression. Cochrane Database Syst Rev. 2023 Jan 16;1(1):CD006763. doi: 10.1002/14651858.CD006763.pub3. PMID: 36645291; PMCID: PMC9841968. [7] Kahleova H, Pelikanova T. Vegetarian Diets in the Prevention and Treatment of Type 2 Diabetes. J Am Coll Nutr. 2015;34(5):448-58. doi: 10.1080/07315724.2014.976890. Epub 2015 Apr 27. PMID: 25915002. [8] Opie RS, Itsiopoulos C, Parletta N, Sanchez-Villegas A, Akbaraly TN, Ruusunen A, Jacka FN. Dietary recommendations for the prevention of depression. Nutr Neurosci. 2017 Apr;20(3):161-171. doi: 10.1179/1476830515Y.0000000043. Epub 2016 Mar 2. PMID: 26317148. [9] Firth J, Solmi M, Wootton RE, Vancampfort D, Schuch FB, Hoare E, Gilbody S, Torous J, Teasdale SB, Jackson SE, Smith L, Eaton M, Jacka FN, Veronese N, Marx W, Ashdown-Franks G, Siskind D, Sarris J, Rosenbaum S, Carvalho AF, Stubbs B. A meta-review of « lifestyle psychiatry »: the role of exercise, smoking, diet and sleep in the prevention and treatment of mental disorders. World Psychiatry. 2020 Oct;19(3):360-380. doi: 10.1002/wps.20773. PMID: 32931092; PMCID: PMC7491615. [10] Pano O, Martínez-Lapiscina EH, Sayón-Orea C, Martinez-Gonzalez MA, Martinez JA, Sanchez-Villegas A. Healthy diet, depression and quality of life: A narrative review of biological mechanisms and primary prevention opportunities. World J Psychiatry. 2021 Nov 19;11(11):997-1016. doi: 10.5498/wjp.v11.i11.997. PMID: 34888169; PMCID: PMC8613751. [11] Dawson SL, Dash SR, Jacka FN. The Importance of Diet and Gut Health to the Treatment and Prevention of Mental Disorders. Int Rev Neurobiol. 2016;131:325-346. doi: 10.1016/bs.irn.2016.08.009. Epub 2016 Sep 28. PMID: 27793225. [12] Dominguez LJ, Veronese N, Vernuccio L, Catanese G, Inzerillo F, Salemi G, Barbagallo M. Nutrition, Physical Activity, and Other Lifestyle Factors in the Prevention of Cognitive Decline and Dementia. Nutrients. 2021 Nov 15;13(11):4080. doi: 10.3390/nu13114080. PMID: 34836334; PMCID: PMC8624903. [13] Grande G, Qiu C, Fratiglioni L. Prevention of dementia in an ageing world: Evidence and biological rationale. Ageing Res Rev. 2020 Dec;64:101045. doi: 10.1016/j.arr.2020.101045. Epub 2020 Mar 19. PMID: 32171784. [14] Liang JH, Lu L, Li JY, Qu XY, Li J, Qian S, Wang YQ, Jia RX, Wang CS, Xu Y. Contributions of Modifiable Risk Factors to Dementia Incidence: A Bayesian Network Analysis. J Am Med Dir Assoc. 2020 Nov;21(11):1592-1599.e13. [15] Guan VX, Mobasheri A, Probst YC. A systematic review of osteoarthritis prevention and management with dietary phytochemicals from foods. Maturitas. 2019 Apr;122:35-43. doi: 10.1016/j.maturitas.2019.01.005. Epub 2019 Jan 11. PMID: 30797528. [16] Forsyth C, Kouvari M, D’Cunha NM, Georgousopoulou EN, Panagiotakos DB, Mellor DD, Kellett J, Naumovski N. The effects of the Mediterranean diet on rheumatoid arthritis prevention and treatment: a systematic review of human prospective studies. Rheumatol Int. 2018 May;38(5):737-747. doi: 10.1007/s00296-017-3912-1. Epub 2017 Dec 18. PMID: 29256100. [17] Pouchieu C, Andreeva VA, Péneau S, Kesse-Guyot E, Lassale C, Hercberg S, Touvier M. Sociodemographic, lifestyle and dietary correlates of dietary supplement use in a large sample of French adults: results from the NutriNet-Santé cohort study. Br J Nutr. 2013 Oct;110(8):1480-91. doi: 10.1017/S0007114513000615. Epub 2013 Feb 22. PMID: 23432948. [18] Rautiainen S, Manson JE, Lichtenstein AH, Sesso HD. Dietary supplements and disease prevention – a global overview. Nat Rev Endocrinol. 2016 Jul;12(7):407-20. doi: 10.1038/nrendo.2016.54. Epub 2016 May 6. PMID: 27150288.