Une meilleure compréhension de la douleur pour mieux agir dessus

Une meilleure compréhension de la douleur pour mieux agir dessus

Écrit par Florent Viossat, kinésithérapeute et ostéopathe.

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Pour mieux comprendre quelque-chose d’aussi complexe que la douleur, assurons nous que nous sommes d’accord sur ce que c’est. Comment définir la douleur ?

L’Association Internationale sur l’Etude de la Douleur, qui est la référence sur le sujet, la définit ainsi : « Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à, une lésion tissulaire réelle ou potentielle. »

Cette définitions est accompagnée de 6 points clés pour aider à sa compréhension. Parcourons-les :

1. « La douleur est toujours une expérience personnelle qui est influencée à des degrés divers par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. »

La douleur est TOUJOURS une expérience personnelle. Il est irrationnel de minimiser la douleur témoignée par quelqu’un qui a subi la même blessure ou la même opération douloureuse que nous. L’exacte même blessure vécue par deux vrais jumeaux sera ressentie de deux manières différentes. La douleur dépend de trois types de phénomènes qui interagissent entre eux.

D’une part de l’état biologique de notre corps, par exemple une cheville inflammée après une entorse. D’autre part d’éléments psychologiques, par exemple si je suis déprimé en ce moment, cette entorse risque de me faire plus facilement mal. Et enfin de notions sociales, par exemple : si cette entorse risque d’impacter ma capacité à travailler alors que je suis déjà en conflit avec mon employeur. Cela s’appuie sur le modèle médical bio-psycho-social développée par Engel en 1980, qui est aujourd’hui le modèle médical prédominant pour expliquer la douleur.

2. « La douleur et la nociception sont des phénomènes différents. La douleur ne peut être déduite uniquement de l’activité des neurones sensoriels. »

La nociception est le processus neuronal d’encodage des stimuli nocifs, c’est à dire le message électrique transmis par les capteurs de notre corps jusqu’à notre cerveau par l’intermédiaire de nos nerfs. Ce sont les capteurs sensitifs du système nerveux qui s’activent lors de la perception d’un danger, par exemple toucher un objet brulant. Ce message n’est pas de la douleur en soit.

On peut avoir de la nociception sans douleur, par exemple la surfeuse Bethany Hamilton, qui a eu le bras arraché par un requin sans ressentir de douleur. On peut également ressentir de la douleur sans nociception, par exemple une expérience montrant des images de situations potentiellement douloureuses déclenchant des douleurs chez des personnes ayant des lombalgies chroniques. Dans ce cas-ci, les personnes touchées possèdent un système nerveux tellement en alerte qu’il suffit d’imaginer une action potentiellement à risque pour commencer à déclencher de la douleur. Voir les références plus bas pour plus d’informations.

3. « Grâce à leurs expériences de vie, les individus apprennent le concept de la douleur. »

La douleur est un processus d’intégration. Tout comme une intelligence artificielle, elle se nourrit toute notre vie des diverses données qu’elle peut récolter. Être exposé à des expériences douloureuses sans séquelle (ex : légères douleurs lors d’un entrainement de boxe) aura probablement tendance à minimiser les futurs messages de la douleur du même genre. À l’inverse, une personne ayant peu été exposée à de la douleur n’aura pas emmagasiné autant d’expérience de celle-ci. Elle ne pourra probablement pas aussi bien évaluer si la douleur qu’elle ressent correspond à un risque faible ou important. Dans le doute, elle risque de se mettre en alerte maximale et générer ainsi plus de douleur.

Au-delà de l’expérience de la douleur, il y a les expériences de vie de façon générale : les activités, les interactions sociales, les connaissances acquises… La lecture même de cette article en est une illustration. Peut être lors de votre prochaine expérience douloureuse saurez vous mieux l’interpréter, et cela jouera probablement sur l’intensité de celle-ci.

4. « Le fait qu’une personne signale une expérience comme étant douloureuse doit être respecté. »

Si l’on insiste malheureusement autant sur ce point, c’est parce qu’aujourd’hui encore, beaucoup de personne jugent la douleur des autres en la comparant à leur propre expérience. Certains professionnels de santé raisonnent encore avec la notion qu’une douleur vient forcément d’une lésion, et même si ces phénomènes sont régulièrement associées, ils sont bien différents. Beaucoup de patients se retrouvent malheureusement sans soin car leur IRM ne montre pas de signe de lésion. Apprenons à dissocier lésion de douleur, et acceptons que l’imagerie ne permet pas de voir l’origine des douleurs mais uniquement l’état de notre corps.

5. « Bien que la douleur joue généralement un rôle adaptatif, elle peut avoir des effets négatifs sur la fonction et le bien-être social et psychologique. »

La douleur, ce n’est ni bien, ni mal. La douleur joue un rôle important dans notre mécanisme d’adaptation à notre environnement pour éviter de se blesser. Sans elle, notre espérance de vie diminuerait grandement. Elle peut cependant avoir des effets terribles notamment lorsqu’elle devient chronique, comme l’isolement social ou l’impossibilité de réaliser les activités que l’on aime. Ceci peut laisser place à un cercle vicieux car la douleur est augmentée par le mal-être social et psychologique. C’est en partie ce qui explique l’aspect chronique de certaines douleurs.

La première chose à faire, si vous le pouvez, n’abandonnez pas ce(ux) que vous aimez ! Même si cela semble difficile sur le moment, ou cela provoque de la peur. Commencez au moins par des petites choses que vous vous sentez capable de faire et qui compte pour vous. Puis fixez vous des objectifs réalistes à court terme, et chaque fois que vous les atteignez, repoussez de nouveau la limite jusqu’à arriver à votre objectif final.

6. « La description verbale n’est qu’un des nombreux comportements permettant d’exprimer la douleur ; l’incapacité de communiquer n’exclut pas la possibilité qu’un humain ou un animal non humain éprouve de la douleur. »

Vous l’aurez compris, ce point rappel que la douleur n’est pas un phénomène propre aux êtres humains. Soyez doux avec les animaux, et si vous les mangez, assurez-vous qu’ils aient le moins souffert.

En conclusion

Tous les points évoqués ci-dessous permettent de mieux comprendre vos douleurs. Les points clés à retenir sont :

  • La douleur n’est pas une information sensorielle linéaire, c’est le traitement de plusieurs informations. Analysez la situation ! Et si besoin faites-vous aider par vos divers professionnels de santé (médecin, psychologue, kinésithérapeute, etc.).
  • La douleur dépend de vos expériences passées, et de comment vous avez réagi à cela. Le plus souvent, notre corps s’adapte aux douleurs, à condition qu’elles ne soient pas associées à des expériences négatives (ex: douleurs de courbatures d’un entrainement de course à pied mais expérience positive de progresser).
  • Réessayer de faire des activités que vous aimez à un niveau de douleur qui ne génère pas d’émotion négative ou d’échec est un bon moyen de progresser. Par exemple : reprendre le jardinage si vous aimez ça, en commençant par une durée qui vous mette à l’aise, et monter progressivement au rythme où vous vous sentez le mieux.
  • Essayez au maximum d’entretenir votre corps, mais tout autant votre santé mentale et votre environnement social !

Merci de votre attention ! Pour rappel, cet article est là pour vulgariser et vous donner quelques clés de compréhension sur la douleur. Si vous avez besoin d’un accompagnement médical, consultez votre médecin traitant.

Sources :

# définition de la douleur de l’IASP

https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD000963.pub3/full # méta analyse sur l’efficacité d’une prise en charge bio-psycho-social

https://www.youtube.com/watch?v=ffgxXjGPrT4&t=180s # l’incroyable interview de Bethany Hamilton après son attaque de requin

https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0026681 # visualisation d’images douloureuses chez des patients lombalgiques chroniques

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3072022/ # mieux comprendre les douleurs d’endométriose