Les experts ont tort et les articles sont faux

Les experts ont tort et les articles sont faux

Si c’est « prouvé », ne devrions-nous pas être tous d’accord ?

Pourquoi ne devrions-nous pas croire aveuglément ce que nous lisons ou entendons ? Pourquoi la science, censée être le domaine de rigueur par excellence, nous présente systématiquement des informations contestables, même quand on l’ignore ? Pourquoi ses acteurs et ses experts ont des avis contraires ? Pourquoi la désinformation est-elle partout ? La méthode scientifique ne devrait pas simplement trancher les questions posées ? Eh bien… Non !

La réalité est telle qu’aujourd’hui, le modèle scientifique est, par design, très largement faillible et les biais sont indénombrables dans la recherche. Par conséquent sont faillibles également tous ses représentants. Approchons quelques problèmes aujourd’hui, qui sont loin d’être les seuls.

Souvent, nous sommes incompétents. Mais nous pouvons faire mieux !

Premièrement, nous vivons actuellement la période stimulante d’un grand remodelage des connaissances dans le domaine de la santé. De par la multiplication des recherches, énormément de théories ont été invalidées ; certaines déjà existantes se sont affirmées et d’autres sont nées. Les questions sont toujours les mêmes, et toujours bonnes à poser, mais les réponses ont changé.

Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer les traitements qui étaient promus il y a 30 ans pour le mal de dos avec ceux mis en avant aujourd’hui. Pour caricaturer, on disait avant : « Attention ! du repos, pas d’effort ! ». De nos jours, le discours est plus rassurant et ressemble à : « Ce n’est pas grave, ne vous déconditionnez pas, bougez et reprenez vos activités. ». Les exemples sont innombrables dans les changements d’approches qui s’opèrent aujourd’hui.

Soyons-en contents ! Tant mieux si les savoirs évoluent, mais les vulgariser au plus grand nombre prend du temps, et malheureusement, tous les avis d’« experts » ne se valent pas car tout le monde ne s’est pas mis à jour… C’est frustrant mais pour être à la page en science, il faut s’actualiser chaque jour et remettre en question ses idées et sa profession. Les compétences ne sont pas immuables à cette époque. Donc, face à une nouvelle problématique de santé publique, être professionnel de santé ne suffit pas. On n’est pas expert à priori, mais on le devient en y travaillant. Les compétences sont des muscles, à entretenir continuellement.

Lorsque le monde médical s’accorde enfin sur des nouvelles « vérités », faut-il encore déconstruire les précédentes et propager les nouveaux savoirs. Comment convaincre la population que tout ce qu’on leur a dit jusqu’à maintenant était faux ? Et surtout comment leur demander de nous faire confiance désormais ? Situation difficile à gérer, et néfaste pour notre légitimité. Mais la première étape pour corriger un problème est de le reconnaître. Alors mea culpa !  

Nous sommes noyés de fausses informations

Deuxièmement, se renseigner pour conserver ses compétences est une bonne chose mais où prendre les informations ? La question semble bête car il existe beaucoup de revues scientifiques rigoureuses et instinctivement, on imagine que les résultats de recherche sérieux sont plus facilement accessibles que les frauduleux. Mais non.

La méthode scientifique est conçue d’une telle façon qu’il faut beaucoup d’études similaires avec des résultats cohérents pour pouvoir confirmer une hypothèse. Une étude isolée ne prouve rien à elle seule. Les résultats doivent être reproductibles et reproduits. Autrement, la découverte peut être simplement due au hasard. Seulement, publier encore et toujours les mêmes informations n’est pas très vendeur. Ainsi, le pont que doit être les revues scientifiques entre la recherche et la population ne remplit pas du tout sa fonction !

La plupart des informations relayées aujourd’hui sont tournées et arrangées pour attirer l’œil. Sont publiés en priorité les résultats chocs, contre-intuitifs et attracteurs. Excellent pour qui veut vendre son histoire mais cela a pour conséquence de noyer dans la masse les bonnes informations validées. Comment donc faire son choix dans cette énorme librairie de désinformation ? Très compliqué, même pour un expert dans le domaine…

Une seule étude ne nous apporte rien

Enfin, on pourrait objecter que c’est le devoir du professionnel de s’informer auprès de la source, bien connaître son domaine pour pouvoir ensuite vulgariser ses savoirs, avec fiabilité. Quand bien même ces personnes existent, cela ne résout pas le problème car même les résultats de recherches sérieuses sont potentiellement faux. Le domaine de la recherche traverse une crise importante en termes de rigueur et interpréter des résultats comparatifs entre études devient un métier à part entière.

Comme je l’ai dit précédemment, une seule étude n’a que peu d’importance, d’un point de vue de son importance statistique. Mais pour avoir une convergence d’études sur un sujet et donc amener des résultats comparables et acceptables, il faut de nombreux scientifiques qui se concentrent sur la même problématique. Il y en a, ce n’est pas un problème mais il existe également des milliers d’études publiées qui ne seront jamais reproduites.

Les questions que la science se pose sont infinies ! Je pourrais très bien créer une étude pour savoir si la longueur de ma souris d’ordinateur a une incidence sur une éventuelle tendinite du coude. J’obtiendrais des résultats mais à fortiori personne ne pourra venir un jour confirmer ou infirmer ces résultats, avec plus de données. Peu de sujets d’étude portent sur des questions aussi spécifiques, et nous pouvons en inventer une infinité. Souvent, des études semblent intéressantes par leur sujet mais sont originales et donc isolées dans le monde scientifique. Quels que soient les résultats obtenus, en étant seul dans mon champ de recherche, je ne peux jamais conclure…

En conclusion

  • À l’échelle des individus les informations sont denses et très complexes, ce qui entraîne souvent des incompréhensions dans la population.
  • À l’échelle des professionnels, qui sont censés les comprendre, les informations changent et trouver les bonnes n’est pas si évident.
  • À l’échelle des études, la recherche est biaisée et trop souvent mal interprétée.

Voici tant de raisons de se tromper quand on pense s’informer correctement, auprès d’une étude ou d’un professionnel. Soyons donc prudents dans nos certitudes !

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