Les Méfaits De L’imagerie Médicale (3/3)

Les Méfaits De L’imagerie Médicale (3/3)

Chapitre 3 : Notre perception du problème, la douleur par l’imagerie médicale

De nouvelles questions à poser

Nous avons vu dans les articles précédents qu’une atteinte structurelle observable à l’imagerie médicale n’est pas forcément douloureuse et ne révèle pas nécessairement de cause pour une maladie en particulier. Mais lorsque l’on a déjà réalisé des examens, comment notre cerveau interprète-t-il cette image ? Est-ce que le simple fait d’observer quelque dégât dans notre corps suffirait pour le faire souffrir ? Ou du moins pour exacerber les douleurs ? C’est à cette question que nous voulons commencer à répondre.

L’imagerie pour de meilleurs soins ?

Un patient qui souhaite passer des examens complémentaires est à la recherche d’une réponse, il désire « être sûr » de son état physique. Cela vient tout simplement d’un souhait de précaution, à priori non-dommageable. Peut-être que l’on est passé à côté de quelque chose, peut-être que l’on a fait le mauvais diagnostic, etc. Parfois, un retard de diagnostic peut aggraver le pronostic lorsque l’on découvre le problème. C’est donc une démarche compréhensible.

En effet, trouver une lésion est parfois rassurant en un sens. Obtenir une confirmation biomécanique d’un problème signifie que la douleur n’est pas juste « dans la tête ». C’est un appui qui légitime une cause à la douleur, ce qui est déjà déculpabilisant en soi. Dès lors, nous appartenons à un groupe, à une classe pathologique et donc il devient possible de bénéficier de soins bien protocolisés qui ont déjà démontrés leur efficacité pour les individus de ce groupe. On se dit finalement qu’il est plus facile de traiter un trouble qui est bien diagnostiqué au préalable. Partager ses maux, c’est aussi partager les remèdes des autres, se dit-on. Mais en pratique, ce n’est pas si simple, et il est très mauvais d’intégrer un « groupe » de soin, car il devient d’autant plus dur d’en sortir.

Le revers de la médaille

Être catégorisé « lombalgique chronique » par exemple contribue à s’approprier la pathologie, qui devient une partie intégrante de votre identité. En imaginant votre corps comme lésé, faible ou à risque, vous vous inscrivez dans un fatalisme de la douleur. Beaucoup d’individus pensent que leur douleur est « normale ». Dès lors, ils entrent dans un conditionnement de la douleur très délétère. C’est sûr que si vous visualisez votre dos comme une entité fragile, ayant une blessure ou étant endommagé, vous serez d’autant plus méfiant à vouloir l’utiliser. Observer à l’imagerie des dégâts structurels favorise donc le catastrophisme des patients, là où il n’y a qu’une altération, souvent normale et asymptomatique, du corps.

Résultat des courses : les personnes pour qui on effectue des examens se font davantage opérer, consomment plus d’antalgiques puissants et intègrent des parcours de soin plus longs. C’est normal. Si on vous assure que votre dos est dans un état lamentable, vous allez avoir recours à des mesures plus extrêmes pour le soigner. Pour autant, est-ce efficace pour faire céder la douleur sur le long terme ? Pour l’instant, la littérature nous répond : non, clairement.

La façon d’appréhender la douleur est donc parfois à remettre en question. Ayez confiance en votre corps, il est très solide ! Se contenter d’une douleur quotidienne n’est pas une solution acceptable. Il faut d’abord apprendre à ne pas avoir peur de la douleur. Être sûr de ne pas avoir mal est déjà un antalgique puissant !

l’iceberg immergé inconscient

Généralement, on envisage une lésion comme un dommage qui active un chemin de la douleur. De la même façon qu’une coupure sur la peau, qu’une entorse sur un ligament ou qu’une fracture sur un os fait mal. Comment n’en serait-il pas pareil pour les autres structures ? Eh bien premièrement, une entorse ou une fracture ne fait pas mal à tout le monde… Personne ne ressent les douleurs de la même façon !

Deuxièmement, le cerveau n’est pas comme un écran tactile qui attend passivement d’être stimulé pour s’allumer. Il utilise et interprète ses expériences passées pour anticiper activement les situations menaçantes, douloureuses ou dangereuses. En fonction des attentes, il réalise des inférences sur les situations. Il y a donc une notion de prédiction implémentée dans la mémoire corporelle. Si vous pensez qu’une lésion peut vous handicaper, ce sera sans doute le cas. La perception de la douleur est plus intense si nous sommes sous la menace. Le fameux « attention ça va faire mal » est déjà douloureux en soi. On ressent surtout ce que l’on attend : l’anticipation elle-même est désagréable.

En effet, si vous vous faites mal une première fois en bougeant, la bête appréhension de reproduire ce mouvement intègre un conditionnement dans votre cerveau. Une situation qui a été une fois dangereuse peut l’être à nouveau. Les inquiétudes que vous ressentez dues aux conséquences qu’implique un handicap peuvent être tout à fait paralysantes, que ce soit dans votre vie personnelle ou professionnelle. Vous allez donc mettre en place une stratégie d’évitement de certains mouvements, ce qui est toujours délétère !

Retrouvons confiance (et du mouvement)

Finalement, pour se préserver de douleurs chroniques, il faut prendre en compte bien plus de choses que l’aspect anatomique ou mécanique, et donc ce qu’on voit sur des examens. Un traitement qui occulte totalement la composante psychologique est voué à l’échec. La bonne solution consiste à réhabituer les gens à vivre normalement en réentrainant leur corps progressivement, en les convaincant qu’ils sont capable de réaliser des gestes au quotidien. En les persuadant que bouger est le premier élément à prendre en compte pour calmer un signal douloureux. En reprenant confiance, simplement.

L’écrasante majorité des TMS doit donc être pris en charge sans imageries médicales, en comprenant bien les facteurs qui modulent la douleur. Une des piste à explorer pour diminuer la sensibilité algique est avec du travail actif ! Ne restez pas paralysés en appréhendant d’avoir mal, au contraire ! Retenez bien : bouger et faire du sport n’aggravent pas les éventuelles dégénérescences observées avec une radio ou une IRM !

Article précédent : Les méfaits de l’imagerie médicale (Chapitre 2/3) : Que trouve-t-on avec l’imagerie médicale ?

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