Adapter l’Humain ou le matériel ? Le casse-tête de la prévention en entreprise

Adapter l’Humain ou le matériel ? Le casse-tête de la prévention en entreprise

Quelques mauvaises idées…

La grosse vague de douleur qui déferle sur la population a nécessité la création de plans de soin et de prévention globaux. Malheureusement, les mesures sont souvent inadaptées puisqu’elles se focalisent sur le confort, le mobilier et l’environnement plutôt que sur l’humain. Même si le premier est important, il s’agit bien de confort plutôt que d’un traitement en soi. Or, nous avons trop souvent tendance à confondre les deux : « en augmentant mon confort, je diminue mes douleurs ». Et c’est d’ailleurs un (mauvais) argument de vente pour beaucoup d’entreprises. « Un siège pour diminuer le mal de dos », « un maintien pour soulager les maux de tête », « un support pour soulager les tendinites », etc.

Mais notons que cela n’a souvent aucune validité scientifique. Il est donc très important de ne pas confondre traitement (ou prévention) de la douleur et adaptation ergonomique, car les deux n’ont pas le même but ni la même efficacité. À titre de comparaison, si vous avez le pied cassé, porter une paire de chaussures confortables est évidemment préférable mais cela ne vous le fera pas guérir. Cela est certainement un plus dans plusieurs cas mais ce n’est absolument pas suffisant.

L’adaptation du corps à l’environnement

Si adapter l’environnement pour convenir le plus possible à notre corps est une idée assez récente, les mécanismes d’adaptation du corps sont très anciens, et nous sont utiles depuis des millions d’années. Distinguons deux types :

  • L’adaptation évolutive :
    Ceci est un sujet que nous laissons aux paléontologues et qui a permis d’évoluer à partir du singe, et même d’une cellule avant ça. Elle prend des milliers voire des millions d’années alors n’attendons pas aussi longtemps car les changements abrupts de notre société actuelle exigent des adaptations plus rapides.
  • L’adaptation métabolique :
    Le corps est une formidable machine d’adaptation. Plus il subit des efforts et des contraintes, plus il sera apte à en absorber de nouveaux. Ce sujet a été plus largement abordé dans un autre article mais le principal à retenir étant que le corps réagit à la contrainte, non en se détruisant mais en se construisant. Les jauges de contraintes au sein des tissus permettent une création de cellule, et donc un renforcement du corps lorsqu’elles sont sollicitées. On ne contrôle pas cet aspect pas plus que l’on contrôle l’évolution. En faisant, on se donne la possibilité de continuer à faire. En ne faisant pas, on perd – au moins partiellement – la fonction par déconditionnement du corps. Si vous utilisez plus vos mains (comme les agriculteurs), votre peau s’épaissit ; si vous utilisez plus vos muscles (musculation), ils grossissent et gagnent en force ; si vous sollicitez vos os, ils deviennent plus résistants et ainsi et suite.

Ma profession est un sport

Cette capacité humaine est intéressante, mais à quoi elle sert ? Quel lien existe-t-il avec la santé en entreprise ?

Vous voulez faire un trek, terminer un marathon ou partir une semaine en randonnée, vous allez vous entraîner pour maximiser vos chances de réaliser cette tâche sans problème. Le corps doit s’habituer avant de pouvoir performer : si nous n’avons pas l’habitude de marcher, une randonnée suffit pour créer des ampoules. Une activité prolongée pendant 8h chaque jour, quelle soit physique ou professionnelle, est une activité à part entière, pour laquelle il faut être entraîné a minima.

Régulièrement, les personnes qui changent de travail ou d’habitude (pensons notamment au télétravail ou à la retraite) se plaignent de nouvelles douleurs. Ce fameux « depuis que j’ai commencé ce travail, j’ai mal partout ». Eh bien si un cycliste commence le tennis intensément du jour au lendemain il aura mal partout également. À une nouvelle activité convient un nouvel entraînement. Le corps peut apprendre à réaliser n’importe quelle tâche ou presque mais il doit être spécifiquement préparé pour celle-ci.

Et si je me contente de modifier l’environnement ?

Finalement, quel est l’intérêt de se renforcer si du mobilier ou des outils sont adaptés pour faire moins d’effort ?

Si l’adaptation de l’environnement est très bien pour le confort et le bien-être général, elle sera insuffisante pour le traitement de la douleur et la prévention de celle-ci. Lorsque l’on dépasse la capacité du corps à réaliser une tâche, quelle qu’elle soit, c’est à ce moment que la douleur peut apparaitre. En effet, la douleur va agir comme un signal d’alarme pour éviter la blessure. Cela peut se faire sur un mouvement unique, brusque comme soulever une charge trop importante ; ou de façon progressive en sollicitant continuellement la même structure de façon répétée. C’est souvent le cas dans la tendinite par exemple ou dans les positions statiques prolongées. Se tenir droit sur une chaise quotidiennement nécessite la contraction de muscles, même à faible intensité. Pour encaisser cet effort, ils doivent donc être endurants.

Si une structure corporelle fait mal, c’est en quelque sorte par manque de capacité. Renforcer son corps est donc une méthode de prévention capitale qui ne peut pas être remplacée. Un muscle inutilisé s’affaiblit, tout simplement. Et aucune machine ne peut les faire travailler à notre place. À ce compte-là, nous sommes tous égaux ! Si nous ne contractons pas nos muscles nous-mêmes, leur déconditionnement nous porte à risque de maladies professionnelles. Finalement, trop de repos, c’est plus de faiblesse et plus de troubles musculo-squelettiques…

Conclusion

Si les pratiques sont encore divergentes dans le milieu de l’entreprise, la science est catégorique : l’Humain est le plus adaptable et présente de surcroit un gros risque de déconditionnement. L’inactivité est aujourd’hui un fléau mondial qui sévit entre autre à cause des solutions passives qui sont mises en place. Oublier son corps pour se focaliser uniquement sur l’environnement revient à le faire mourir, à petit feu.

Sources :
1. Kristine Williams et al. Epigenetic rewiring of skeletal muscle enhancers after exercise training supports a role in whole-body function and human health. Molecular Metabolism, Volume 53, 2021, 101290, ISSN 2212-8778
2. Alentorn-Geli E et al. The Association of Recreational and Competitive Running With Hip and Knee Osteoarthritis: A Systematic Review and Meta-analysis. J Orthop Sports Phys Ther. 2017 Jun;47(6):373-390.
3. Nybo L et al. High-intensity training versus traditional exercise interventions for promoting health. Med Sci Sports Exerc. 2010 Oct;42(10):1951-8.
4. Jakobsen MD et al. Factors affecting pain relief in response to physical exercise interventions among healthcare workers. Scand J Med Sci Sports. 2017 Dec;27(12):1854-1863.
5. Calatayud J et al. Dose-response association between leisure time physical activity and work ability: Cross-sectional study among 3000 workers. Scand J Public Health. 2015 Dec;43(8):819-24.
6. Hoe VC et al. Ergonomic design and training for preventing work-related musculoskeletal disorders of the upper limb and neck in adults. Cochrane Database Syst Rev. 2012 Aug 15;2012(8):CD008570.
7. Van Eerd D et al. Effectiveness of workplace interventions in the prevention of upper extremity musculoskeletal disorders and symptoms: an update of the evidence. Occup Environ Med. 2016 Jan;73(1):62-70.