L’importance de notre santé mentale sur nos douleurs

L’importance de notre santé mentale sur nos douleurs

Introduction

Depuis quelques temps, dans un contexte particulier où nous sommes de plus en plus conscients de l’importance de notre santé mentale, nous remarquons qu’elle influence grandement notre santé physique. En effet, nous remarquons qu’elle joue un rôle prépondérant dans la manifestation de nos douleurs. Comme nous commençons à comprendre quels sont les mécanismes qui entrent en jeu et quels traitements sont les plus efficaces dans ces cas-là, d’autres questions se posent alors : comment notre cerveau produit la douleur ? Quels sont les facteurs qui favorisent l’installation durable de ces douleurs ? Lorsqu’une personne présente des douleurs, dans quels cas la composante psychologique doit devenir une priorité de traitement ? Comment repérer ces événements ? Et pouvons-nous les prévenir ? C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre.

La nociception

La nociception est une des composantes de la douleur : c’est la plus évidente et celle dont la compréhension est la plus facilement accessible à tous.

Sur Wikipédia, nous trouvons cette définition : la nociception est « une fonction permettant l’intégration, au niveau du système nerveux central, d’un stimulus potentiellement nocif via l’activation des nocicepteurs cutanés, viscéraux, musculaires et articulaires ». En termes simples, les nerfs qui conduisent l’influx électrique jusqu’au cerveau lors d’une situation potentiellement dangereuse forment un ensemble de signaux : c’est la nociception. Cet influx mesurable parvient jusqu’au cerveau qui « évalue » si la totalité de ces afférences sont un signal d’alarme pour l’intégrité corporelle. Si tel est le cas, le cerveau peut « exprimer » de la douleur. Mais il serait trop simple de résumer la douleur à la nociception.

En paraphrasant Baliki et Apkarian, il faut ensuite imaginer l’existence d’un phénomène de seuil qui transforme ou non la nociception en douleur consciente. Mais la difficulté est que ce seuil est différent pour tous. En effet, tout le monde ne réagit pas de la même manière à un même stimulus. Par exemple une piqûre est indolore pour certains, horrible pour d’autres. Mais alors, qu’est-ce qui peut faire varier ce seuil ? Qu’est-ce qui peut finalement augmenter ou diminuer notre tolérance à la douleur ?

La recherche a fait du chemin ces dernières années et nous connaissons aujourd’hui de nombreux facteurs psycho-sociaux qui influencent et affectent notre ressenti de la douleur. Voici quelques liens scientifiquement établis.

Associations physique/psychologie

S’il est impossible d’établir un lien direct entre affections mentale et physique, nous pouvons identifier de nombreux cas ou ces maladies se manifestent de façon concomitante. Différentes études montrent une corrélation entre un problème mental et un trouble musculo-squelettique (par exemple), et d’autant plus dans les cas de multimorbidité.

La multimorbidité se caractérise par l’affection de plusieurs troubles chroniques physiques (arthrite, hypertension, diabète…) et/ou mentaux. Au sein de cette population, des symptômes sévères de dépression sont retrouvés chez 1 adulte sur 2 présentant une multimorbidité. Ces résultats suggèrent deux phénomènes :

  • Soit que des maladies douloureuses chroniques qui s’accumulent augmentent nettement le risque de dépression (ce qui est assez facilement compréhensible).
  • Soit que la dépression facilite l’émergence de troubles physiques douloureux.
  • Soit les deux et c’est un serpent qui se mord la queue !

De plus, les personnes avec un profil dépressif rapportent un plus grand handicap que celles qui ont une seule affection. Les symptômes de dépression semblent être nettement plus handicapants qu’une condition somatique additionnelle. La présence d’un syndrome dépressif rend les autres affections moins supportables. Comment cela se fait-il ? Eh bien la dépression jouerait un rôle un l’abaissement du seuil de tolérance que nous pouvons supporter, et ce quelle que soit la douleur, ce qui rend le corps plus sensible à des agressions.

Les Risques Psycho-Sociaux (RPS) au travail

Mais ces liens ne s’arrêtent pas à la sphère personnelle. Le travail a également un effet important : par exemple, les conditions de travail défavorables d’un point de vue psycho-social sont un bon prédicteur de survenue de TMS. D’un côté, on sait que peu de support social et peu de latitude décisionnelle (2 facteurs de RPS) sont tant de facteurs de risque pour des douleurs du cou ou du membre supérieur. Ceci est confirmé par différentes études qui montrent qu’un état de détresse psychologique semble être également un prédicteur de TMS. D’un autre côté, le support managérial ou social ainsi que le poids décisionnel des individus constituent une mesure importante par rapport au risque d’arrêt de travail longue durée. Finalement, quelle que soit les exigences physiques du métier, le support des équipes est un facteur indispensable pour la prévention des arrêts.

Notons qu’un paramètre psychologique ne touche pas plus une zone corporelle qu’une autre. L’idée classique serait que les douleurs de stress viennent s’installer dans le dos ou les épaules mais c’est tout le corps qui est rendu susceptible à une douleur accrue dans ces cas-là.

Corrélations dans les 2 sens

Si de nombreux facteurs psychologiques sont associés à des affections physiques, nous sommes actuellement incapables d’affirmer qui est l’œuf ou qui est la poule. Nous pouvons simplement constater qu’un symptôme est un facteur de risque pour le suivant. Ceci est vrai que le premier soit physique et le second mentale, ou inversement. Ce qui est sûr c’est que l’un va rarement sans l’autre.

Le domaine est encore en pleine recherche mais il semble que toutes les douleurs ne soient pas égales. Vraisemblablement, l’aspect psychologique prend davantage d’ampleur dans les cas chroniques. Une douleur aiguë aurait un moindre impact sur la santé mentale qu’une douleur qui durent depuis longtemps et les traitements et les pronostics seront évidemment différents en fonction des symptômes. Par ailleurs, il existe une difficulté dans le repérage du déséquilibre mental des individus. La différenciation des différents tableaux cliniques psychologiques (détresse, anxiété, dépression, etc.) n’étant pas à la portée de tous, elle doit être effectuée par un professionnel pour ensuite proposer une prise en charge transdisciplinaire, complète et efficace.

Le risque d’isolement

En plus de la totalité des symptômes à endurer, la multimorbidité physique/psychologique présente un risque d’isolement important. La finalité est que l’individu s’isole progressivement à mesure que la (les ?) maladie envahit son quotidien.

  • Premièrement, la douleur induit une situation d’isolement par évitement. Tout le monde tente d’éviter les situations qui ont été antérieurement douloureuses. Lorsqu’une douleur consciente apparait bel et bien, la réaction comportementale est de s’éloigner de la situation d’apparence dangereuse ou de se retirer de l’environnement hostile pour favoriser la récupération. Mais cette éloignement provoque l’arrêt de certaines activités ou habitudes. Par exemple, si j’ai eu mal au dos en soulevant une charge, je vais éviter de reproduire cet acte en arrêtant tout effort physique. Or, la scission avec des valeurs antérieures est une perte en échange de laquelle nous ne récupérons rien. C’est comme perdre une fonction de notre corps. De plus, une douleur peut provoquer une inquiétude/angoisse sur le pronostic et sur la guérison.
  • Deuxièmement, un état dépressif induit un isolement comportemental en généralisant, pour un individu et pour toutes les situations, le concept d’environnement défavorable. La perception ou l’anticipation d’un danger cognitif extérieur contraint la personne à réduire son espace personnel, ses interactions sociales, son influence intellectuelle et sa motivation. La dépression a cet effet terrible de nous isoler par rapport à notre propre plaisir.

Quels traitements ? Quels possibilités ?

La base d’un bon traitement nécessite d’identifier correctement et en premier lieu les symptômes et leur influence dans la vie d’un patient. Une personne avec un mal de dos qui dure depuis des années ne devra pas être traitée de la même façon si elle présente en plus soit un état dépressif sévère, soit une détresse psychologique modérée. Il convient donc de comprendre la personne dans sa globalité avant de proposer une solution. Le cas n’est pas simple mais une certitude : il faut traiter de façon concomitante tous ces troubles car ils agissent ensemble et contribuent au handicap d’une personne.

En ce qui concerne l’aspect purement médical, précisons que les recommandations du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) inclut la possibilité d’une prise médicamenteuse. En effet, dans certains cas, des antidépresseurs ont leur place dans le traitement car ils améliorent la qualité de vie, le sommeil ou la détresse psychologique, ce qui peut avoir un effet sur les douleurs par la suite. En revanche, avoir recours à des traitements anti-douloureux en soi comme le paracétamol, les opioïdes et les anti-inflammatoires (AINS) ne présente aucune efficacité et peut même avoir certains effets secondaires.

Pour ce qui est des traitements non-médicamenteux, des résultats d’étude soutiennent certaines psychothérapies (thérapies cognitivo-comportementales et thérapies d’acceptation et d’engagement) qui peuvent aider à gérer la douleur chronique, la dépression et le handicap. Ces résultats sont validés par le NICE qui confirme leur efficacité dans les cas de douleurs chroniques. Par ailleurs, un autre groupe de recherche montre qu’une prise en charge psychologique associée a une prise en charge physique a plusieurs bénéfices :

  • Cela amène de meilleurs résultats qu’une prise en charge kinésithérapique classique.
  • Les patients sont plus impliqués et suivent mieux les recommandations dans ces prises en charge.

Ce qui va une fois de plus dans le sens de la transdisciplinarité.

Conclusion

Il faut collaborer !

😉

Sources:

1. Hauke, Angelika et al. (2011). The impact of work-related psychosocial stressors on the onset of musculoskeletal disorders in specific body regions: A review and meta-analysis of 54 longitudinal studies. Work & Stress. 25. 243-256.
2. Sheridan, P.E. et al. Associations between prevalent multimorbidity combinations and prospective disability and self-rated health among older adults in Europe. 2019. Bmc Geriatrics 19(1): 198
3. Sundstrup E, Andersen LL. Joint association of physical and psychosocial working conditions with risk of long-term sickness absence: Prospective cohort study with register follow-up. Scand J Public Health. 2021 Mar;49(2):132-140.
4. Reis F et al. Association between pain drawing and psychological factors in musculoskeletal chronic pain: A systematic review. Physiother Theory Pract. 2019 Jun;35(6):533-542.
Sundstrup E et al. Associations between biopsychosocial factors and chronic upper limb pain among slaughterhouse workers: cross sectional study. BMC Musculoskelet Disord. 2016 Feb 27;17:104.
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6. Baliki MN, Apkarian AV. Nociception, Pain, Negative Moods, and Behavior Selection. Neuron. 2015 Aug 5;87(3):474-91.
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