Faut-il économiser nos articulations  en évitant les sports intenses ?

Faut-il économiser nos articulations en évitant les sports intenses ?

Écrit par Florent Viossat, kinésithérapeute, ostéopathe.

Sommes-nous des chaises Ikea ?

Une pensée très répandue est que l’activité physique, telle que la course à pied ou l’haltérophilie, est dangereuse pour les articulations, notamment le cartilage. Nous posséderions un capital cartilagineux limité et donc à préserver. Cette affirmation, basée sur un modèle théorique, peut faire sens en nous car nous sommes entourés d’exemples de ceci. Plus j’utilise ma chaise plus elle s’abime, plus j’utilise ma voiture plus les pneus s’usent, etc.

La limite de ce modèle, c’est que contrairement aux objets, notre corps est capable d’adaptation, notamment nos structures mécaniques telles que les muscles, les tendons, les ménisques, les os, les cartilages, les disques intervertébraux ou les nerfs. Même votre peau en est capable. Si vous vous mettez à creuser à la pelle tous les jours elle s’adaptera à la contrainte en créant de la corne.

La chimie en nous : le métabolisme

Notre métabolisme fonctionne sur un modèle stimulation – récupération. La stimulation dans le cadre mécanique est une contrainte générant une fatigue/destruction cellulaire partielle de nos fibres, qu’elles soient musculaires, osseuses ou autre. En réponse à cela, de nouvelles cellules sont regénérées pour reconstruire celles manquantes en plus grand nombre et qualité. C’est le principe du métabolisme, qui est l’alliance du catabolisme (la destruction) et de l’anabolisme (la construction).

Ces réactions ont lieu en permanence dans le corps mais elles sont accélérées par l’activité physique (stimulation) suivi d’un repos adapté (récupération). D’où le fameux « no pain no gain », il faut générer de la contrainte via de l’intensité dans l’activité physique si l’on veut que notre corps s’adapte et donc progresse. Mais évidemment, tout miser sur la destruction systématique sans laisser le corps récupérer risque de mener à la blessure : pour l’exemple de notre peau, c’est le cas des ampoules.

Afin d’optimiser sa récupération, voici quelques règles simples à suivre : assurer un sommeil en quantité et en qualité, s’assurer d’avoir une alimentation et une hydratation équilibrée et suffisante pour répondre aux besoin du corps, et éviter les perturbateurs métaboliques tels que l’alcool, le tabac et certaines autres drogues.

Ni trop, ni trop peu

L’extrême inverse de la sur-sollicitation est la sous-utilisation Et son impact sur notre santé semble être l’objet de moins de craintes. Or, le manque d’activité physique entraine un déconditionnement du corps. Cette sous-utilisation est un facteur important de l’apparition de douleur ou de blessure. On retrouve ces notions dans la courbe de risques de blessures chez le sportif par exemple, qui a une forme de U, où le minimum de risque (qui n’est jamais l’absence de risque rappelons-le), se situe dans la zone d’entrainement régulier. Le manque d’activité ou la sur-activité y présentent tous deux un risque d’augmentation de blessure.

L’influence de la génétique

Les capacités du corps sont liées également à des facteurs métaboliques comme l’expression de notre génétique, déterminés entre autres par notre âge et notre sexe. Un moyen à notre disposition pour isoler ces facteurs à entrainement égal est d’observer les records du monde par tranche d’âge et en fonction du sexe. Cette méthode d’analyse est rétrospective et n’est pas gage d’isoler absolument ces facteurs (par exemple la recherche du « vrai » record du monde chez les jeunes est peut-être plus compétitive et donc pousse plus à la performance que pour le record du monde des plus de 50 ans), mais elle permet globalement d’isoler la variable génétique du corps.

On prendra ici le record du marathon et de squat, deux exemples d’activités sur lesquels nos patients se restreignent le plus. Courir abimerait les articulations et porter des charges nous écraserait/tasserait. Pour le squat, les catégories de poids n’étant pas les mêmes pour les deux sexes, nous avons pris les catégories avec le plus faible écart : 84kg pour les femmes et 85kg pour les hommes.

Pas de surprise à l’issue de cette analyse : oui, être plus jeune et un homme est un avantage métabolique, les records diminuant au fur et à mesure de l’avancée dans l’âge, et les temps masculins étant meilleurs que ceux féminins. Mais à quel point cette différence est-elle importante ?

Quid de l’âge ?

Concernant l’avancée dans l’âge, le record du marathon est de 2h01m37s, et à 60 ans passés, il est de 2h36m37s, soit 77.7% de la vitesse du record (une vitesse de plus de 16km/h sur plus de 42km quand même). Vous me direz que c’est parce qu’ils étaient super entrainés, et c’est tout le propos. Si à 60 ans votre capacité à courir par rapport à vos 20 ans a diminué de plus de 25%, la seule raison n’est pas la génétique. C’est la bonne nouvelle du jour, contrairement aux années qui ne peuvent être récupérées, l’activité physique peut être reprise, et ce à tout âge, si l’on respecte les règles évoquées précédemment.

Pour le port de charge, c’est le même constat avec une baisse légèrement plus prononcée, à 60 ans par exemple le squat est à 65% du record du monde (en soulevant un poids de 197kg quand même).

Quid du sexe ?

Et pour la différence homme femme, celle-ci est en moyenne d’un écart de 40% de moins pour les femmes sur le développement de force comme le squat, mais pour ce qui est de la course à pied, la différence au marathon est beaucoup plus ténue : de l’ordre d’à peine 10% ! Donc ceux qui sont persuadés que les filles courent beaucoup moins vite que les garçons peuvent oublier leur préjugé et essayer de battre le record du monde féminin de 2h14m04s !

Mais du coup, si j’ai plus 20 ans c’est trop tard ?

Il n’est jamais trop tard pour s’améliorer. Si votre objectif est un record du monde d’athlétisme et que vous avez plus de 60 ans, effectivement, il est peu probable que vous y arriviez. Mais pour ce qui est d’améliorer sa forme, cela est possible à tout âge. Il est même possible de faire mieux qu’à vos 20 ans si vous y tenez. À moins qu’à vos 20 ans, vous étiez déjà au maximum de votre forme (sportif de haut niveau qui s’entraîne autant et aussi bien qu’un champion du monde), votre corps à encore une marge de manœuvre importante sur laquelle progresser.

En conclusion

Votre corps est capable d’adaptation. Les contraintes ne risquent pas de l’user prématurément, au contraire, c’est plutôt leur absence qui risque d’entraîner un déconditionnement. Ne laissez pas les discours défaitistes tels que « un ménisque, ça ne guérit pas », ou « je suis trop vieux pour ça » avoir raison de vous. Si vous vous souciez vraiment de l’avenir de votre corps, sollicitez-le, et écoutez-le quand il vous dit d’y aller moins fort.

Nota Bene : le propos développé ici concerne uniquement les inquiétudes sur une usure potentielle du corps. Il n’est pas directement question de douleurs. L’état des structures peut être un des facteurs influençant l’apparition de la douleur mais ceci est toujours à interpréter avec précaution en prenant en considération tous les paramètres pouvant influencer la douleur. Celles-ci sont bien plus complexes qu’une simple lésion primaire et sont un sujet passionnant à évoquer, mais ça, ce sera pour une prochaine fois !

Sources :
1. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28504066/ #chez le coureur, l’arthrose précoce est présente chez les compétiteurs essentiellement, moindre arthrose chez les coureurs réguliers par rapport aux non coureurs
2. https://www.worldathletics.org/records/by-category/world-records #records marathon
3. https://world-masters-athletics.com/ #records marathon par catégorie d’âge et de sexe
4. https://worldpowerlifting.com/records/ #records squats
5. https://bjsm.bmj.com/content/50/5/273 #courbe en U des risques de blessure
6. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4442061/ #exemple de mécano-adaptation des ménisques (un bon exemple de structure à métabolisme plus lent et pourtant tout à fait capable d’adaptation)
7. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19221925/ #stratégies de récupération optimales post activité physique