Le futur de la prévention des TMS : l’employé d’abord

Le futur de la prévention des TMS : l’employé d’abord

Le TMS et sa chronologie

Aujourd’hui, les maladies professionnelles qui touchent le système musculo-squelettique sont définies sous le terme de TMS (Trouble Musculo-Squelettique), listées et regroupées dans des tableaux par l’institut national de recherche et de sécurité (INRS). Toutefois, il est important de noter que le nombre de TMS est peu représentatif de la santé de la population au sein des entreprises. En effet, ces tableaux peu exhaustifs ne comprennent que quelques affections chroniques, et laissent de côté de nombreuses autres. Petit tour d’horizon sur les limites de la prévention en entreprise.

Chronologiquement, un trouble commence par des signes ou des symptômes, souvent légers, mais dont la gravité peut augmenter progressivement. La maladie se met en place insidieusement, reste non-détectée tant qu’elle n’est pas suffisamment grave, et rien n’est fait jusqu’alors. Lorsque la symptomatologie devient flagrante, le diagnostic se précise, le médecin prescrit un examen ou une imagerie médicale et confirme la maladie. 

Et avant le TMS ?

Cette méthode pose problème en ce qui concerne la prévention puisqu’elle tend à occulter toute la période pendant laquelle la maladie évolue, et qui sépare les habitudes initiales portant à risque un individu de la reconnaissance de la maladie. Temps pendant lequel, souvent, la personne souffre de douleurs et d’une dégradation de son état physique et psychologique. Temps qui peut être long et pesant quand il est accompagné d’un handicap quotidien…

La reconnaissance du TMS n’est finalement que la constatation d’une maladie dans ses derniers stades, lorsque la prévention ne peut plus être efficace et lorsque les traitements deviennent plus lourds (prise médicamenteuse, rééducation longue, chirurgie, etc.). De plus, quand la prévention a échoué, les pronostics sont moins bons et plus incertains. Il est donc nécessaire d’évaluer régulièrement la santé des individus avant que les troubles ne soient déclarés. 

Le problème est que cette étape préalable manque de dispositifs. En ce qui concerne le diagnostic médical, il a son outil privilégié : l’imagerie (IRM, radiographie, etc.). En effet, on ne commence pas un traitement à l’aveugle pour qu’il soit efficace, on réalise d’abord des examens. La prévention doit aussi trouver une méthode pour optimiser son rendement, tant en termes de santé que de finance. Mais comment “diagnostiquer” un risque avant l’apparition des signes qui permettent d’identifier une maladie ?

Pour réaliser une prévention efficace, il nous faut donc devancer les problématiques par une méthode de prédiction des facteurs de risque individuels, en anticipant ainsi les troubles pour commencer les actions a priori. Dans ce but, bien reconnaître les premières petites douleurs alarmantes, les premiers signes qui nous informent sur une potentielle dégradation est primordial.

Pourquoi ? Car autrement, on aboutit à un système de prise en charge totalement déconnecté de la réalité. Voyons cela.

Un système absurde

Voici quelques chiffres frappant pour illustrer pourquoi les TMS ne sont que la face visible de l’iceberg : selon Ameli, les 3 premiers TMS en France, en termes de fréquence sont : 

  • Le syndrome du canal carpien (38%), 
  • Le syndrome de la coiffe des rotateurs (atteinte des tendons de l’épaule, représentant 30% des TMS)
  • L’épicondylite (tendinite) latérale du coude (22%). 

Or, quelles sont les premières plaintes de la population (de très loin) sur les 12 derniers mois, lorsqu’on lui demande ? 

  • Le mal au dos (67% de la population et qui varie selon l’étude) 
  • Les maux de tête (62%, idem) 

Comment est-ce possible que ces maux-là n’apparaissent pas dans les TMS, ou si peu ? alors que ce sont en grande partie des affections musculo-squelettiques (à noter que toutes les céphalées ne le sont pas). L’incohérence entre la reconnaissance sociale et les plaintes des patients est criante. À croire que les plans de soin ne prennent pas en compte les symptômes et le ressenti des patients face à la douleur mais seulement les quelques affections qui ont été présélectionnées. Vous n’aurez la reconnaissance d’une maladie que si elle est autorisée finalement… 

Limiter les possibilités diagnostiques, prédéfinir un résultat et des attentes, ou cloisonner la maladie professionnelle revient à créer un important biais dans leur processus de reconnaissance. On trouve plus facilement ce que l’on espère trouver. Il est plus facile d’aboutir à un diagnostic attendu plutôt que de considérer l’ensemble des signes dont certains peuvent invalider l’hypothèse initiale. Répertorier un ensemble de signes reste tout à fait logique pour établir des diagnostics mais limiter ce nombre à quelques affections privilégie certaines prises en charge au détriment de toutes les autres. Il peut donc y avoir un biais de confirmation important et une conclusion prématurée.

On constate fréquemment que les plans de prévention adoptés en entreprise ne ciblent que certains risques, et négligent totalement les autres. Les actions et diverses mesures préventives ne sont pas en accord avec les besoins des individus puisqu’elles ne prennent pas en compte leurs plaintes individuelles.

Pour autant, ces douleurs-là sont-elles moins importantes ou sans conséquences ? Sont-elles simplement à exclure du milieu professionnel ? Malgré leur non-reconnaissance, ces douleurs régulières devraient alerter davantage les acteurs de prévention dans le milieu professionnel…

Sortir du déni

Comme nous l’avons dit, toute douleur préalable, inexpliquée, n’est pas reconnue comme un TMS.  Toutes ces “petites” douleurs qui traînent, qui partent, qui reviennent, qui sont lancinantes ou intermittentes, occasionnelles ou récurrentes et qui ont un impact sur notre travail, sur notre bien-être quotidien, sur notre qualité de vie en fait. Tout le monde en a déjà souffert : un cou bloqué, un point dans le dos, une gêne dans le genou, dans l’épaule, etc. Toutes ces douleurs supportables mais qui s’accumulent et qui sont suffisamment gênantes pour nous y faire penser chaque jour.

Dans ces cas-là, aucune structure corporelle n’est lésée et rien de particulier n’est “observable” objectivement. Aucun TMS à reconnaître donc puisque la personne ne rentre dans aucune case. Le seul symptôme est la douleur de la personne – et le seul qui devrait importer d’ailleurs… Il est plus que temps d’arrêter de faire l’autruche et de s’occuper avant tout de la santé des employés, en s’enquérant de ce qu’ils ressentent. Et si on leur demandait ? Et si leur ressenti était plus important que ce que l’on peut observer sur un examen médical ? Commençons peut-être par les écouter…

Une notion est bien connue en termes de douleurs, c’est que chaque personne la perçoit différemment. Le corps est plus ou moins “sensible” aux douleurs en fonction de divers paramètres, comme la situation, la quantité de fibres nerveuses recrutées, l’expérience, etc. En fonction du cas, le même problème peut donc être vécu avec plus ou moins d’intensité. Une claque sur le bras n’est pas particulièrement traumatisante. Mais si vous avez un coup de soleil sur cette même zone, ce sera sans doute différent. Le coup de soleil en l’occurrence augmente le ressenti que vous avez de la même agression. 

Voyons une douleur, une gêne, comme une irritation supplémentaire. Les accumuler revient à rendre le corps plus sensible à de nouvelles agressions. Chaque nouvelle douleur sera plus menaçante que la précédente. Ce sont les douleurs persistantes latentes qui doivent être détectées en amont car elles diminuent le seuil de tolérance du corps à la douleur. Il faut éviter de faire du corps un terrain propice à des douleurs intenses et chroniques. Autrement, il sera plus sujet à en éprouver de nouvelles, et elles seront plus probables de traîner. Ignorer les gênes quotidiennes des individus revient à augmenter leur risque de chronicité, et donc de TMS. 

En termes simples, pour une bonne prévention santé dans le milieu professionnel : l’employé d’abord, car le TMS ne devrait pas être uniquement une réalité médicale.

En conclusion

Les points clés à retenir :

  • Un TMS doit être détecté précocement. Il ne faut pas attendre les derniers stades de la maladie pour le prendre en charge.
  • Le TMS ne devrait pas se réduire à quelques affections facilement diagnosticables à l’imagerie.
  • Pour cela, il faut s’appuyer sur le ressenti de chaque individu. Le contexte considéré doit être bio-psycho-social, et donc combiner une expertise médicale rigoureuse et objective, avec une analyse subjective de ce qu’une personne éprouve.

Source :
Ameli. Comprendre les troubles musculo-squelettiques.
Sanofi. Étude sur les Français et la douleur. Communiqué de presse 2014.
Sanofi. Les Français face à la douleur silencieuse
Sanofi. Journée mondiale de la douleur. Communiqué de presse 2018.